En 2023, un certain 11 décembre, alors que la COP28 continuait de se jouer à Dubaï, l’Union International pour la Conservation de la Nature (UICN) dévoilait sa fameuse Liste rouge et les chiffres qui l’accompagnent : plus de 44 000 espèces, parmi les quelque 157 000 évaluées à ce jour, sont considérées comme menacées d’extinction – soit 28 % (1).
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Tous les ans, à la même période, la même rengaine : le bilan des victimes de l’extinction anthropogénique (comme on l’appelle en biologie de la conservation, ou « extinction de masse ») s’alourdit à mesure que la Liste rouge s’épaissit des ajouts réguliers des spécialistes.
Les chiffres sont là, assourdissants. Ils nous parlent, mais nous n’écoutons pas (2) – ou plutôt, nous n’écoutons pas les scientifiques derrière ces chiffres ; et, si l’on pousse le bouchon un peu plus loin, nous n’écoutons pas le silence fracassant laissé par les vies innombrables anéanties des suites de nos modes de vie modernes.
Nous n’entendons pas le Saumon atlantique et les quelque 3 000 espèces de poissons d’eau douce aujourd’hui menacées d’extinction dans nos fleuves et nos rivières ; nous ne prêtons pas attention au Mahogany grandes feuilles, hier “vulnérable” et aujourd’hui “menacé” ; nous nous détournons des vies innombrables détruites, à grand ou à bas bruit, à grand ou à petit feu.
« L’extinction est là, qui s’avance dans le silence de nos émotions. » (3) Et dans ce silence, nous avançons de plus en plus seul·es, nous entrons pas à pas dans une « ère de solitude », selon l’expression du regretté Edward Osbourne Wilson.
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En 2024, dans cette ère de solitude qui est désormais la nôtre – sans jamais s’y résoudre ou encore moins s’y complaire –, une question surgit avec force et vigueur : sommes-nous capables de nous transformer suffisamment pour trouver des manières de réparer le monde ?
Face au désastre planétaire, il est de notre devoir – en tant que principaux responsables de l’extinction actuelle – d’y apporter « une réponse éthique qui implique de se tourner vers les autres dans l’espoir de réparer au moins certains dommages. » (4)
Se tourner vers, un geste éthique dirigé vers la rencontre, le dialogue, la volonté de composer avec autrui, dans ce qu’il tient ensemble d’altérité et de parenté – se tourner vers plutôt que se détourner, toujours. Un geste éthique qui aspire à « cultiver ce qui, dans le désastre, ne relève pas du désastre. » (5) Un geste éthique qui cherche encore et toujours « à réparer ce qui a été rompu, à fabriquer des mondes hospitaliers pour chaque être vivant. » (4)
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« Nous ne devenons humain·es qu’en compagnie d’autres êtres ; nous ne sommes pas seul·es » ― Deborah Bird Rose, Le rêve du chien sauvage ‒ Amour et extinction
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Alors en 2024, nous vous souhaitons une année résolument tournée vers les autres, tournée vers l’altérité la plus discrète comme la plus radicale, à même de nous réarmer face aux combats à mener.
Brandon Balengée, The Frameworks of Absence (6)
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Planche 1 / RIP Rhytine de Steller : d’après Wilhelm Meyer. 1881/2015
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Planche 2 / RIP Crapaud dorée : d’après Michael Rothman. 1999/2015
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Planche 3 / RIP Grand Pingouin : d’après John Gould. 1873/2014
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Planche 4 / RIP Truite argentée : d’après A. D. Turner. 1901/2014
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Planche 5 / RIP Moules d’eau douce endémiques des Amériques : d’après David H. Stansbery. 1971/2015
Figurer l’absence ― « Avec sa série The Frameworks of Absence, Brandon Ballengée cherche à conférer une présence à l’absence des espèces disparues en découpant des représentations de type naturaliste […] Deux dates figurent sur le cartel de chaque planche : la première correspond à la date de publication de l’artefact originel, choisi parce qu’il a été produit à l’époque où l’espèce en question disparaissait, la seconde désigne la date de découpe […] Selon Ballengée, en nous confrontant à ce type de représentation, les artistes ont un rôle à jouer pour nous permettre d’entrer dans un processus de deuil complexe qui ne doit jamais nous paralyser, mais au contraire nous inviter à agir. » Billebaude n°13 – Affronter la sixième extinction
RÉFÉRENCES
- (1) « Freshwater fish highlight escalating climate impacts on species – IUCN Red List » – Actualisation de la Liste rouge de l’UICN, 11 décembre 2023
- (2) Le présent texte plonge ses racines dans un article publié en avril 2021: « L’expérience de l’extinction » ; les chiffres évoluent, les mots restent sensiblement les mêmes
- (3) « Voyages en sol incertain. Enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi », Matthieu Duperrex – Wildproject, mai 2019
- (4) « Le rêve du chien sauvage. Amour et extinction », Deborah Bird Rose – La Découverte, collection Les empêcheurs de penser en rond, 2020
- (5) « Nos cabanes », Marielle Macé – Verdier, collection La petite jaune, 2019
- (6) « The Frameworks of Absence », Brandon Ballengée – The Armory Show, 2015