En quoi la pandémie actuelle de coronavirus est-elle, au-delà de la crise sanitaire que nous traversons, le symptôme d’une mutation écologique bien plus profonde ?

Pour répondre à cette question, nous vous proposons une synthèse d’articles portant sur les liens entre maladies infectieuses et environnement – résultat de notre première semaine de confinement. Difficile d’être plus synthétique, rigoureux et précis que les publications dont nous faisons la revue ici.

Prenez le temps de la lecture il nous fait moins défaut actuellement ! et parlons-en.

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UN SERPENT ? UN PANGOLIN ? UNE CHAUVE-SOURIS ?

C’est à qui sera le premier à incriminer l’animal sauvage à l’origine de ce coronavirus (SARS-CoV-2, pour Severe Acute Respiratory Syndrome CoronaVirus-2) dont le piège s’est refermé sur plusieurs milliards de personnes placées en confinement à travers le monde. S’il est primordial d’élucider ce mystère, de telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde : la destruction accélérée du vivant. N’est-il pas temps de se demander pourquoi les pandémies se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu ? (1)

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LA BOÎTE DE PANDORE

Bien que le phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains s’accélère, il n’est pas nouveau. Son apparition date de la révolution néolithique, quand Homo sapiens a commencé à domestiquer des animaux et à détruire les habitats sauvages pour étendre ses terres cultivées. La boîte de Pandore est ouverte et avec elle, les premières maladies infectieuses humaines font leur apparition : rougeole, tuberculose, coqueluche… (2)

Le processus s’est poursuivi pendant l’expansion coloniale européenne. Au Congo, les voies ferrées et les villes construites par les colons belges ont permis à un lentivirus hébergé par les macaques de la région de parfaire son adaptation au corps humain, jusqu’à devenir celui qu’on nomme aujourd’hui virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Au Bengale, les Britanniques ont empiété sur l’immense zone humide des Sundarbans pour développer la riziculture, exposant les habitants à une bactérie aquatique présente dans ces eaux saumâtres. Désormais connue sous le nom de choléra, cette dernière a provoqué sept pandémies à ce jour – l’épidémie la plus récente étant survenue il y a de cela 10 ans en Haïti. (1)

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RETOUR DE BOOMERANG

Depuis une cinquantaine d’années, on voit se développer des virus émergents qu’on ne connaissait pas auparavant. C’est le cas du VIH et d’Ebola en Afrique de l’Ouest, de Zika sur le continent américain, ou encore du SRAS, apparu en Chine en 2003. La majorité de ces maladies infectieuses émergentes  60 à 65 %  sont des « zoonoses », c’est-à-dire qu’elles résultent d’une transmission d’agents infectieux de l’animal à l’homme, et vice-versa. Certaines proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart – plus des deux tiers – sont issues d’animaux sauvages, en lien étroit avec la dégradation des écosystèmes engendrée par la démographie et les activités humaines.

Nous transformons des écosystèmes où les organismes évoluent en équilibre dynamique, en « pathosystèmes«  où cet équilibre est rompu et les pathogènes circulent librement

Mais ces derniers n’y sont pour rien. En dépit des articles qui désignent la faune sauvage comme le point de départ d’épidémies dévastatrices, il est faux de croire que ces animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous contaminer. En réalité, la majeure partie des microbes qu’ils hébergent leur sont inoffensifs.

Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’étalement urbain, l’homogénéisation du monde… nous créons des « pathosystèmes » (3) où les mécanismes de régulation des pathogènes sont bouleversés et les moyens de propagation exacerbés. Un véritable « effet boomerang » provoqué par nos interactions de plus en plus en fortes avec une biodiversité fragilisée par l’exploitation frénétique que nous en faisons (4).

Coronavirus - Natexplorers

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LES COUPABLES IDÉAUX

L’actuelle pandémie de coronavirus est directement liée aux transformations que nous opérons sur l’environnement. Des travaux en cours de publication semblent confirmer que le virus est extrêmement proche génétiquement du Pangolin malais (Manis javanica) (4). Cette espèce serait l’hôte intermédiaire entre une chauve-souris du genre Rhinolophus, suspectée d’être le réservoir primaire du virus, et les humains qui ont braconné, vendu et/ou consommé ce petit mammifère écailleux.

En modifiant les contacts entre la faune sauvage et l’humain, nous créons les conditions écologiques propices aux épidémies

Comme une foule d’autres animaux sauvages, pangolins et chauves-souris sont braconnés puis exportés dans toute l’Asie, notamment en Chine, où de fausses croyances prêtent à leur viande ou leurs os broyés des vertus curatives. Ils empruntent alors les voies du commerce illégal, qui débouchent jusqu’aux marchés d’animaux vivants (wet markets) (5). Là, des espèces qui ne se seraient sans doute jamais croisées dans la nature se retrouvent encagées côte à côte, et les microbes peuvent allègrement passer de l’une à l’autre. Ce type de propagation qui a déjà engendré en 2002-2003 le coronavirus (SARS-Cov) responsable de l’épidémie de SRAS, est probablement à l’origine de ce nouveau coronavirus (SARS-Cov-2) qui nous assiège aujourd’hui. Pour peu que ce phénomène appelé « passage de la barrière d’espèce » se produise fréquemment, il peut permettre aux microbes issus de la faune sauvage de s’adapter à nos organismes et d’évoluer au point de devenir pathogènes (1).

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LA DISPARITION DU MONDE SAUVAGE

La destruction et la fragmentation des écosystèmes menacent d’extinction quantité d’espèces. Pour celles qui survivent, elles n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les portions congrues d’habitat laissées vacantes par les implantations humaines. Il en résulte une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme – lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers (1). Résultat : l’anéantissement progressif de la biodiversité accroît considérablement le risque d’émergence et de propagation des maladies infectieuses et de leurs vecteurs.

L’homme détruit la résilience nécessaire à la biodiversité et à sa propre santé

Prenons l’exemple des maladies transmises par les moustiques, puisqu’un lien a été établi entre la survenue d’épidémies et la déforestation : selon une étude menée dans douze pays, les espèces de moustiques vecteurs d’agents pathogènes humains sont deux fois plus nombreuses dans les zones déboisées que dans les forêts restées intactes (6).

Citons encore le cas des maladies véhiculées par les tiques, parmi lesquelles figure la maladie de Lyme : au cours des vingt dernières années, poussés par l’étalement urbain dans le Nord-Est américain, sept nouveaux agents pathogènes portés par les tiques ont été identifiés. La faute à la disparition d’animaux comme les opossums, qui contribuent à réguler les populations de tiques (7).

Il en va de même pour le tristement célèbre virus Ebola. Une étude menée en 2017 a révélé que les apparitions du virus – dont la source a été localisée chez diverses espèces de chauves-souris – sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique centrale et de l’Ouest qui ont récemment subi des déforestations. La suite du scénario ? Leurs forêts abattues, les chauves-souris trouvent refuge dans des arbres au voisinage de l’homme qui, en tuant ou en mangeant cette visiteuse, s’expose aux microbes présents dans leurs tissus. C’est ainsi qu’une multitude de virus dont les chauves-souris et d’autres animaux sauvages sont les réservoirs, mais qui restent inoffensifs chez eux, creusent leur sillon jusqu’aux populations humaines (1).

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Coronavirus - chauve-souris - Natexplorers

Julien Chapuis, Natexplorers / Chauve-souris frugivore Artibeus jamaicensis, Mexique, Entre Deux Amériques
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UNE BOMBE À RETARDEMENT NOMMÉE ÉLEVAGE INDUSTRIEL

Les risques d’émergence de maladies ne sont pas accentués seulement par la perte d’habitats, mais aussi par la façon dont on les remplace. Pour assouvir son appétit carnivore, l’homme a rasé une surface supérieure à celle du continent africain pour nourrir et élever des bêtes destinées à l’abattage. Les liens s’intensifient entre le monde sauvage et le monde domestique. Au total, 83 % des terres agricoles sont utilisées pour répondre à la demande en viande et en produits laitiers, tout cela pour ne produire que 37 % des protéines et 18 % des calories consommées dans le monde (8).

Le monde sauvage se fait envahir par l’animal domestique

L’explosion du nombre d’animaux domestiques, notamment ceux d’élevage – un maillon essentiel dans la transmission des maladies infectieuses à l’homme – explique aussi la hausse des épidémies. Les raisons ? D’abord, parce que nous entassons des animaux par milliers, les uns sur les autres, en attendant qu’ils soient conduits à l’abattoir : des conditions idéales pour que des microbes se muent en agents pathogènes mortels. Ensuite, parce que nous transformons nos élevages en bunkers : véritables bombes pathogènes à retardement, comme on l’a vu avec la grippe aviaire en 2014 (9). Enfin, parce que ces animaux d’élevage sont également à l’origine de plus de 22 milliards de tonnes d’excréments par an. Déjections qui peuvent propager des maladies, notamment en contaminant l’eau et les sols.

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Coronavirus - Guardian Graphic

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CONTRE LES PANDÉMIES : L’ÉCOLOGIE

La crise qui s’abat actuellement avec fracas sur toute l’humanité – au-delà du drame humain et sanitaire évident qu’elle représente – est un symptôme plus profond des maux de notre société, de nos manquements envers le reste du vivant, de notre foi inaltérable en un modèle qui, depuis longtemps, montre les signes de sa propre décadence. Considérons cette pandémie du coronavirus comme un dernier signal d’alarme en provenance du monde sauvage. Car si nous ne préservons pas la biodiversité, une chose est sûre : les crises sanitaires vont se multiplier et s’amplifier.

La crise sanitaire actuelle est le symptôme d’une crise bien plus profonde : celle de l’écologie

Plus la biodiversité est forte, plus il y a de microbes circulant à faible bruit, c’est-à-dire qui ne se transmettent pas efficacement. Mais lorsque la biodiversité chute, comme c’est le cas actuellement, nous favorisons les contacts et la transmission de maladies infectieuses (3). Pour prévenir une prochaine crise sanitaire majeure, il faut donc nous attaquer aux causes – déforestation massive, monoculture et élevage industriel, surexploitation des ressources, chasse et commerce d’animaux sauvages, surconsommation, etc. – plutôt que de traiter encore et toujours les conséquences de nos (in)actions.

Non, la nature ne se venge pas : affranchissons-nous de cette vision manichéenne ! Mais espérons que nous tirions nos leçons de celle-ci, comme l’appelait en son temps Léonard de Vinci. Espérons que nous nous débarrassions enfin du superflu. Espérons que cette crise nous permette d’opérer la bascule vers un nouveau paradigme. Espérons que nous n’assistions pas aux ultimes contacts avec une biodiversité en crise majeure, avant l’émergence d’autres maladies, celles-ci non-infectieuses – comme les maladies auto-immunes et allergiques, dues aussi à l’effondrement de la biodiversité (3).

Comme l’exprimait Pierre Haski dans sa chronique « Géopolitique » : « Il est évidemment trop tôt pour prédire à quel rythme et dans quel état nous sortirons de cette crise du coronavirus, et quelles leçons nous en tirerons. L’une de celles-ci devrait néanmoins être l’humilité : descendre de son piédestal peut avoir des vertus, à condition de reconnaître qu’une page d’histoire se tourne » (10).

Les épidémies sont inévitables, apprenons à les anticiper (11). À condition que nous mettions autant de détermination à changer nos politiques, nos modes de vie, nos manières d’être à l’Autre que nous en avons mis, depuis plusieurs décennies, à détruire méthodiquement des pans entiers du monde vivant.

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EN 2006…

Bien avant l’épisode du coronavirus, Yves Paccalet présentait dans son essai « L’Humanité disparaîtra, bon débarras !» 13 scénarios pouvant conduire à l’extinction de notre espèce. Le dixième d’entre eux trouve aujourd’hui une résonance toute particulière. Morceaux choisis :

« La population humaine explose, vaque, brasse et se mêle. Les migrations s’accélèrent. Les guerres jettent sur les routes des cortèges de réfugiés. Dans le même temps, nous saccageons les milieux naturels. Nous rasons les forêts. Nous draguons les océans. Je ne suis pas le seul à redouter que nous n’ouvrions ainsi une boîte de Pandore bien plus dangereuse que celle de la mythologie […] Notre espèce pourrait devoir affronter bientôt d’impitoyables tueurs, qu’elle s’ingénie à déterrer dans les recoins de la planète […] Ils ne descendent pas d’une autre planète et n’ont pas le petit doigt en l’air. Ils sont invisibles. Là, au coin de la rue, dans l’autobus, au café, à l’hôpital… »

« Je ne veux effrayer personne, mais je regarde les microbes avec de moins en moins d’humour […] Tous ces micro-organismes semblent animés d’une énergie nouvelle. Ils résistent aux antibiotiques. Ils sont plus virulents et plus teigneux que leurs pères. Je me demande si, au-delà des vieilles querelles écologiques, la première raison de lutter contre le saccage de la Terre ne va pas devenir un pur souci de santé publique. »

À méditer !

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Références

Nos contributions

Pour aller plus loin

Coronavirus - tapir

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