Faut-il y voir un signe ? Notre portrait tiré dans les colonnes du Courrier de l’Ouest paraît le 29 juillet, « Jour du dépassement » pour l’année 2021 (1). Un signe, ça reste à voir. Le signe que nous ne pouvons plus échapper au fardeau de CO2, de méthane, de déforestation, de pollutions diverses que nous traînons dans notre sillage, certainement.
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Comme si nous ne pouvions plus nous réjouir du soleil sans penser au réchauffement climatique, plus contempler un paysage sans ressentir une responsabilité dans son étiolement, plus apprécier la fraîcheur d’un sous-bois sans imaginer des arbres tomber sous les coups de l’exploitation forestière ou de la sécheresse, plus pousser un caddie dans un magasin sans que le malaise ne s’accroisse d’avantage (2). Comme « si une étiquette Made in Human avait été gravée sur toutes les anciennes ressources naturelles » (3).
Maintenant que chacun·e sait que la mutation écologique est là et bien là – ce qui ne veut pas pour autant dire que nous sachions comment y réagir –, la question est : « Que faisons-nous de cet état de fait ? Que faisons-nous pour apprendre à vivre avec ? »
Fin de la digression et retour à l’article du Courrier de l’Ouest qui nous intéresse ici.
LE COURRIER DE L’OUEST / 29 JUILLET 2021
L’AILLEURS, C’EST AUSSI LA PROXIMITÉ
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Extraits
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Barbara Réthoré et Julien Chapuis ont toujours eu ce goût de l’ailleurs qui les a construits. Un ailleurs que l’on peut trouver dans la proximité, rappellent-ils.
Cet ailleurs, dites-vous, peut aussi se trouver à la porte de chez soi…
J.C. « Il s’est cristallisé dans des contrées lointaines mais il peut en effet se concrétiser dans des destinations d’ultra-proximité. Notre prochain projet d’expédition va ainsi se dérouler avec la Loire comme fil conducteur. C’est une direction que nous étions déjà en train de prendre, la période Covid a agi comme un révélateur […] »
Où cette mission va-t-elle donc vous mener ?
B.R. & J.C. « On pensait connaître la Loire et on s’aperçoit qu’on ne connaît rien de ce fleuve. D’avril à juillet 2022, nous allons faire une descente intégrale de la Loire, sur ses plus de 1 000 km, depuis les sources au mont Gerbier-de-Jonc jusqu’à l’estuaire. On partirait de Chalonnes en train, l’idée étant de mener une mission de sobriété et la plus “bas carbone” possible avec un canoë pliable. Nous espérons pour cela travailler avec une entreprise de la région. »
Quelles recherches allez-vous mener sur le fleuve ?
B.R. & J.C. « Ce projet – “Loire sentinelle” – est un projet triptyque de recherche-action-création, que nous voulons ouvrir à la société en associant des penseur·ses, des écrivain·es, des artistes qui pourraient nous accompagner sur certaines parties pour raconter, transmettre… En association avec des laboratoires de la région, nous allons collecter des échantillons de microplastiques. On emmènera également à bord une technique innovante : l’échantillonnage de l’ADN environnemental. À travers un échantillon d’eau, on pourra ainsi savoir quelles espèces peuplent telle partie du fleuve. On s’associe pour cela avec un laboratoire de Savoie. Il s’agit de dresser une première cartographie croisée de la biodiversité et de la plasticodiversité, et donc de rendre à la fois visible cette vie du fleuve, indécelable à l’œil nu, et nos modes de vie. L’idée étant que ces données servent à d’autres chercheurs, à des acteurs de terrain, des collectivités, des écoles aussi. »
De façon générale, qu’allez-vous chercher dans un voyage ?
J.C. « […] Laisser place à ce qui n’est pas prévu, c’est ce qu’il y a de plus beau. Et ça peut très bien se produire au coin de la rue. »
B.R. « Voyager, c’est aller à la rencontre de l’autre, humain comme autre-qu’humain […] On apprend parfois plus avec un insecte, un singe… Les vivants non-humains ont cette capacité à nous renvoyer simultanément à ce qui nous ressemble et nous dissemble. Ils nous font changer notre regard. »
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Dans les sacs à dos de Barbara et Julien
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Trois livres : Barbara : Intervalles de Loire (Michel Jullien), Le sens de la merveille (Rachel Carson), Journal d’un explorateur noir au pôle Nord (Matthew Henson) / Julien : Les pensées de l’écologie (Baptiste Lanaspèze, Marin Schaffner), Sur la piste animale (Baptiste Morizot), Le pays des petites pluies (Mary Austin).
Un film : Piano to Zanskar (Michal Sulima)
Une musique : Barbara : Barefoot in the park (James Blake feat. Rosalia) / Julien : Visit Croatia (Alabaster DePlume)
Une application : Seek (reconnaissance d’images pour l’identification de la faune et de la flore)
Un objet : un filtre à eau (+ un livre)
L’endroit où elle·il rêve d’aller : Barbara : en Polynésie / Julien : à la rencontre des grands singes
Leur plus belle rencontre : Barbara : un bébé singe-araignée victime de la déforestation / Julien : un groupe de singes-araignées sorti de la canopée
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Un article de Mireille Puau pour Le Courrier de l’Ouest
Accompagné des photos de Josselin Clair (reporter photographe)
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Écho du 23 janvier 2022 : « À pied et en kayak pour observer de près la Loire »
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NOTES & RÉFÉRENCES
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(1) La date du « Jour du dépassement » est calculée en croisant l’empreinte écologique des activités humaines – surfaces nécessaires pour produire les ressources consommées et absorber les déchets associés – et la biocapacité de la Terre – capacité des écosystèmes à se régénérer et à absorber les déchets découlant de la consommation des ressources biologiques.
Pour le dire de façon imagée, il s’agit du jour où l’humanité prise en bloc épuise son “budget planétaire”, pour continuer, le reste de l’année, à vivre au-dessus de ses moyens, c’est-à-dire en dette vis-à-vis de la Terre. Une dette de 5 mois car, après une brève accalmie en 2020 liée à la crise sanitaire, le « Jour du dépassement » est revenu en 2021 à son niveau de 2019 : le 29 juillet. Le monde d’après ressemble à s’y méprendre au monde d’avant…
Selon l’ONG Global Footprint Network, à l’origine du calcul de cet indice, ce déficit écologique ne cesse de se creuser depuis 50 ans : le « Jour du dépassement » était ainsi fixé au 29 décembre en 1970, au 11 octobre en 1990, au 23 septembre en 2000 et au 7 août en 2010. À tel point qu’il faudrait, cette année, 1,7 Terre pour répondre aux besoins de la population humaine mondiale – sans pour autant oublier les écarts abyssaux, et donc les inégalités béantes, qui existent entre les pays sur-développés et ceux sur-exploités.
- (2) Merci à Bruno Latour pour cette retranscription fidèle de l’air/ère du temps et de ce sentiment partagé par beaucoup que nous avons changé d’époque. Lire à cet égard « Où suis-je ? Leçons du confinement à l’usage des terrestres ? », Bruno Latour – La Découverte, 2021
- (3) Merci encore à Bruno Latour pour cette représentation très imagée et très juste de l’Anthropocène que nous transposons ici au Jour du dépassement. Lire à ce propos « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique ? », Bruno Latour – La Découverte, 2017